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CHRONIQUE D’UN SPECTACLE EN CONSTRUCTION
Numéro 1 - Avril 2008


À six mois de la création, le 10 octobre 2008 au TJP Strasbourg-CDN d’Alsace, voici des nouvelles de notre Alice en pleine préparation, nouvelles que nous avons voulues le plus exhaustives possible.
Dans les lignes qui suivent, vous trouverez des éléments pouvant faciliter votre communication autour du spectacle (photos des marionnettes déjà réalisées, distribution définitive, texte de présentation…), mais aussi des informations vous permettant d’entrer dans les coulisses de la création (notes de mise en scène, premières écritures, photos de marionnettes en cours de construction…). En fin de dossier, nous avons adjoint une fiche technique provisoire.
Il est toujours délicat de parler d’un spectacle en construction : tant de réflexions appelées à devenir des axes essentiels sont encore à l’état d’intuitions, tant de pistes restent à vérifier, tant de certitudes sont susceptibles de s’écrouler, tant de belles découvertes restent à faire !…


1. Présentation

Pour commencer, voici un texte de présentation :

Et voici qu’à notre tour nous plongeons jusqu’aux antipodes, dans les contrées de l’à-l’envers, celles des merveilles et du miroir, à la poursuite d’un lapin excentrique, de créatures improbables et d’une fillette rêveuse, elle-même rêvée par un logicien faisant fi de toute logique.
Épopée fantasmatique ? littérature de carnaval ? roman de quête ? pure fantaisie nonsensique ?… tout a été dit sur Alice, une chose et son contraire, et tout marche, marque du chef d’œuvre inclassable. Ce qui nous touche le plus, en ces temps de massification de l’imaginaire, c’est l’invention débordante du créateur d’alice, sa fantaisie imprévisible, capable, comme disait Cocteau,  de « déniaiser la niaiserie » : nous préférons obstinément les questions de Carroll aux réponses de Disney.
Aujourd’hui, nos premières marionnettes commencent à prendre forme. Elles nous lancent leurs premiers regards, effectuent leurs premiers mouvements. Nous savons d’ores et déjà qu’elles sauront restituer l’univers malicieux, cruel et gai de Lewis Carroll, et qu’avec Alice, nous tenons une de nos plus belles rencontres. Rendez-vous en octobre, aux antipodes.

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2. Premiers visuels (Photos : Michel Klein)

La bonne quinzaine de marionnettes qui constitueront la « faune » d’Alice sont pour la plupart en cours de construction. Le choix définitif des personnages n’étant pas encore établi, beaucoup d’images restent à venir. Comme vous pourrez le voir, la plupart de nos marionnettes ne sont pas achevées, il s’agit là en quelque sorte des photos d’un “work in progress”.
Par ailleurs, comme dans la plupart de nos spectacles, la confrontation entre les marionnettes et leurs manipulateurs sera avouée et incessante ; les répétitions n’ayant pas encore commencé (elles débuteront en mi-juillet et dureront près de trois mois), nous ne disposons pas encore de photos illustrant cette confrontation et mettant en scène les deux comédiens-marionnettistes, Vanessa Defasque et Michel Klein. Mais tel est le lot de tous les spectacles non encore créés, de ne pouvoir livrer d’images réellement représentatives. Nous espérons que celles qui suivent suffiront à vous mettre “l’eau à la bouche” !

Il s’agit bien sûr d’un montage (maquette : Jaime Olivares), et de l’image qui, à l’heure actuelle, rend sans doute le mieux compte de notre volonté (et délectation !) de nous confronter avec l’univers fantaisiste et foisonnant de Lewis Carroll.


La fable du spectacle sera sans doute la suivante : une jeune femme, prénommée Alice, pénètre dans le hall d’un hôtel, l’Hôtel des Rêves. Elle y est accueillie par un réceptionniste qui s’enquiert du type de rêve – et donc de chambre – souhaité. Or Alice ne rêve plus depuis son tout jeune âge, et ne sait que lui répondre. Cela suffit à l’information du réceptionniste, qui lui confie la clé d’une chambre “avec vue sur l’enfance”. Ce sera pour la jeune femme le début d’une plongée tantôt inquiète, tantôt exaltée et joyeuse, dans le monde des rêves, et de retrouvailles avec sa propre enfance.

A partir de cette idée, voici un dessin réalisé par Jaime Olivares, qui n’a pas hésité à dessiner en lieu et place du réceptionniste le célèbre Lapin Blanc du Pays des Merveilles. Il est tout à fait possible (mais pas certain, comme toute chose figurant dans ce dossier réalisé à six mois de la première !) que cette confrontation entre la comédienne et une des plus célèbres créatures de Carroll soit traitée dans le spectacle.


le même dessin, dans une version coloriée et une version “ligne claire”


La marionnette de notre principale héroïne n’est pas encore construite, puisque Michel Klein la réalisera à partir du visage de notre comédienne récemment engagée, Vanessa Defasque. Il n’avait pourtant pas attendu pour construire une première Alice, que voici :

Vous noterez qu’elle a plus à voir avec la véritable petite fille, Alice Liddell, pour qui Lewis Carroll a écrit ses deux livres (et qu’il a photographiée, voir ci-dessous à gauche), qu’avec celle de son premier illustrateur, John Tenniel, ou celle de Disney !


Et voici trois photos de Vanessa Defasque, nouvelle venue à Flash Marionnettes, qui jouera “en pied” Alice jeune femme, et dont s’inspirera Michel Klein pour la réalisation de la marionnette d’Alice – petite fille :



Quelques créatures du Pays des Merveilles et du Pays du Miroir :

À gauche le Lapin Blanc, qui dans notre adaptation, sera également le Lièvre de Mars, acolyte du Chapelier (à droite), partenaires d’une des plus célèbres scènes du Pays des Merveilles, « Un thé chez les fous ».
Le troisième larron (un Loir qui finira plongé dans une théière par les deux autres) reste à construire.
Vous noterez que les costumes restent également à faire !


Nous avons privilégié les reines de jeu d’échecs de L’autre côté du Miroir à la Reine de Cœur de jeu de cartes du Pays des Merveilles. À gauche, la Reine Blanche et diverses options de coiffure (dans L’autre côté du Miroir, elle se transforme en brebis, d’où son physique un peu particulier !)


Et voici la Reine Rouge, à laquelle manquent encore couleur et costume. À droite, un montage de Michel Klein réunissant les deux dames.


Dans L’autre côté du Miroir, un combat oppose le Lion et la Licorne. Nous sommes tentés de le restituer sur un ring.


Et encore quelques portraits :



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3. Notes de mise en scène

Voici quelques extraits de notes prises par Ismaïl Safwan suite à des lectures, échanges, etc. Malgré leur désordre apparent, elles donneront une plus fidèle idée des réflexions du moment qu’une note d’intention savamment construite qui laisserait croire que la route qui nous mène à la création finale est toute tracée. Or elle ne peut l’être quand il s’agit de l’univers complexe et foisonnant, à la fois illogique et sur-logique, de Lewis Carroll. Les principaux éclairages nous viendront de la scène et de la mise en jeu. Dès le mois de mai, un ou plusieurs labos avec les comédiens et les premières marionnettes nous délivreront les premières “vérités du plateau”.

Depuis que nous avons annoncé notre intention de monter Alice, plusieurs interlocuteurs nous ont prévenus des difficultés que comportait une telle œuvre du fait de ses “clés cachées”, “doubles sens”, “sous-couches”, et de toute la symbolique qui y aurait été intentionnellement introduite par Lewis Carroll. Il a répondu lui-même d’une seule phrase à tout cela : « don’t ask me the meaning of the text, I am only the author ». J’ajoute : on ne va pas faire œuvre analytique, interprétative. On va faire œuvre artistique.

*

Comme toutes les grandes œuvres de fiction, les livres d’Alice se prêtent volontiers à tout type d’interprétation. Les surréalistes, les psychanalystes, entre autres, en ont fait leur miel. Phyllis Grenacre a vu dans le passage constant d’Alice de la grande taille à la petite taille dans le Pays des Merveilles une image refoulée de la mère de Lewis Carroll sursaturée, distordue, constamment déformée par onze accouchements successifs. William Empson a écrit : « je crois qu’il faut souligner le caractère symboliquement complet de l’expérience d’Alice. Elle parcourt tout le trajet : elle est père en pénétrant dans le trou, fœtus quand elle arrive en bas, et ne peut naître qu’en devenant mère et en produisant son propre liquide amniotique », etc., etc. À elle seule, la chute dans le trou du terrier du lapin prête sûrement à dix autres interprétations psychanalytiques, métaphysiques, symboliques…, mais je me souviens surtout du délicieux vertige que j’avais, enfant, à lire cet épisode.

*

Le problème, ce ne sont pas les cryptages qu’aurait opérés Carroll, ni les décryptages délivrés en abondance depuis, ou à devoir délivrer à notre tour. Le problème, ce sont les 150 ans qui nous séparent de l’œuvre. Le petit Anglais victorien qui lisait Alice’s Adventures in Wonderland ou Through the Looking-Glass était en terrain connu : il en connaissait la plupart des personnages par des poèmes, des comptines (“nursery rhymes”) de l’époque. Il va donc nous falloir adapter, plus que jamais, bien plus que nous ne l’avons fait pour Pinocchio ou le Roman de Renart, et trouver nos axes essentiels. L’un d’eux pourrait être le Temps, sa diffraction, son dérèglement, déjà bien présents dans l’Alice de Carroll : le temps qui, dès l’ouverture, préoccupe au plus haut point un Lapin consultant fébrilement sa montre, le temps qui se distord au point de ralentir fantastiquement la chute d’Alice dans le terrier, le temps qui s’est arrêté pour le Chapelier, le Lièvre de Mars et le Loir (d’où la tea-party sans cesse recommencée), etc.

*

Le Temps, problématique essentielle pour notre Alice, avec bien sûr cette jeune femme à la recherche de ses rêves d’enfant. Et aussi, à tenter : l’horloge de l’hôtel qui marche à l’envers ; les saluts au bout de 10 minutes de spectacle ; une scène rejouée exactement à l’identique, et en plein milieu, l’un des personnages qui dit : « vous n’avez pas comme une impression de déjà vu ?… » ; un long silence, immobile ; ou plusieurs personnages silencieux, immobiles, et Alice, se déplaçant au milieu d’eux ; une scène jouée à l’envers ; Alice-marionnette très vieille, presque transparente à force d’être vieille ; ou encore Pinocchio, notre Pinocchio apparaissant sans crier gare – Alice : « d’où tu sors ? On l’a déjà fait, ce spectacle ! Il est fini ! Place aux jeunes ! » ; Zygoti et Zygoto (Tweedeldum et Tweedeldie), les jumeaux monozygotes se disputant quant à savoir qui est l’aîné ; etc.

*

Léon-Paul Fargue : « Les mots aussi sont un Pays des Merveilles. »

*

Les enfants sont de petites machines à philosopher. Beaucoup des questions d’Alice furent les miennes : « qu’arrive-t-il à la flamme d’une bougie quand on l’éteint ? » ; « et si j’étais le rêve d’un autre ? » ; « et si c’était moi qui rêvais tous les autres ? » ; « le futur, c’est de la mémoire à l’envers ? »… C’était du moins au temps d’avant le déluge d’images. Espérons qu’aujourd’hui il n’est pas trop tard et que les questions des enfants ont encore leur place…

*

Jean-Jacques Lecercle : Alice profondément “non-doxic”, contrairement à Harry Potter (« rien d’autre que du Tolkien croisé avec du Enid Blyton » !).

*

« “I didn’t know it was your table”, said Alice ». Traduction Parisot : « “Je ne savais pas que cette table vous fût réservée”, repartit Alice ». Traduction Elen Riot : « “Je ne savais pas que c’était votre table”, dit Alice », tout simplement. On dirait que Parisot a voulu en rajouter dans le caractère guindé de l’époque victorienne, au détriment du style assez fluide et naturel de Lewis Carroll. C’est la traduction Parisot que la plupart des lecteurs français d’Alice âgés de plus de trente ans ont lu dans leur jeune âge, et de ce fait, ils ont souvent le souvenir d’un style ampoulé qui n’est pas celui de l’œuvre originale.

*

Une des caractéristiques des créatures du Pays des Merveilles et de L’autre Côté du Miroir est de comprendre les phrases au mot-à-mot et non dans leur sens communément admis. Humpy Dumpty demande son nom à Alice, elle le lui donne. « Quel nom stupide ! dit Humpty Dumpty. Que veut-il dire ? » Alice demande : « Faut-il vraiment qu’un nom veuille dire quelque chose ? », à quoi Humpty Dumpty répond : « Naturellement. Mon nom à moi veut dire quelque chose. Il indique la forme que j’ai, et c’est une très belle forme, d’ailleurs. Mais toi, avec un nom comme le tien, tu pourrais avoir presque n’importe quelle forme. » Humpty Dumpty raisonne en tous points comme les nominalistes du Moyen-Âge ! (Hump veut dire : bosse, et dumpy se dit d’une personne boulotte. Même si la plupart des traducteurs, incroyablement, ne le font pas, il est indispensable de traduire son nom, faute de quoi le dialogue qu’il a avec Alice sur son nom n’a strictement aucun sens. Une traduction assez exacte en français serait donc “Ronde-Bosse”, mais un peu trop savante : je préfère imaginer “Boumbada Boum”, en m’appuyant sur une autre caractéristique “physique” de Humpty Dumpty : le fait qu’il est toujours sur le point de tomber. À voir…)

*

Alice a sept ans dans le Pays des Merveilles, et sept et demi dans L’autre Côté du Miroir. À l’époque, accueil enthousiaste d’enfants de six ans. Alice, sept ans, joue aux échecs…

*

Après Pinocchio, Disney une fois de plus au détour du chemin… Disney est une sorte d’énorme phagocyte qui s’abat sur tout ce que la littérature enfantine avait de plus inventif pour la normer (Le Livre de la Jungle, Pinocchio, Alice, Les Mille et Une Nuits, Peter Pan…). Cela dit, le Alice de Disney est plutôt réussi, et moins normatif que Pinocchio — mais il se trouve que c’est un des Disney qui a eu le moins de succès…

*

Les œuvres de Lewis Carroll ont toujours fait l’objet d’une double lecture, à la fois adulte et enfantine. C’est tout le mal que je souhaite à “notre” Alice.

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4. Premières écritures

Peut-être ne restera-t-il pas une ligne des deux scènes qui suivent, et que nous testerons bientôt en labo. Elles restent l’une et l’autre assez fidèles à l’œuvre originale ; il est probable que dans des scènes à venir, nous n’hésiterons pas à nous en éloigner davantage.

Boumbada Boum

Un gros personnage en forme d’œuf (Boumbada Boum = Humpty Dumpty) est posé, parfaitement immobile, sur un socle étroit. Alice le contemple avec curiosité.
Alice : Oh ! Le bel œuf !
Le gros personnage s’anime tout d’un coup, faisant sursauter Alice.
Boumbada Boum : C’est très impoli de me traiter d’œuf.
Alice : Oh pardon ! Je croyais que vous étiez une statue...
Boumbada Boum : C’est déjà plus aimable… Mais je ne suis ni un œuf, ni une statue. Mon nom est Boum. Boumbada Boum.
Alice : Comment ?
Boumbada Boum : Boumbada, c’est mon prénom. Boum, c’est mon nom. Mais vous pouvez m’appeler Boum. Et vous, comment vous appelez-vous ?
Alice : Alice.
Boumbada Boum : Alice ? C’est un nom tout à fait idiot ! Qu’est-ce qu’il signifie ?
Alice : Euh… Tous les noms doivent signifier quelque chose ?
Boumbada Boum : Bien sûr. Par exemple, mon nom signifie le bruit que je fais en tombant.
Il oscille, est sur le point de tomber. Alice le rattrape de justesse.
Alice : Vous avez failli tomber !
Boumbada Boum : Et alors, vous étiez là pour me rattraper, non ?
Alice : Vous ne pensez pas que ça serait plus sûr si vous étiez assis par terre ?
Boumbada Boum : Vous posez des questions stupides ! Bien sûr que je ne le pense pas.
Il oscille, est sur le point de tomber. Alice le rattrape de justesse.
Alice : Je crois vraiment…
Boumbada Boum : Taisez-vous. C’est à mon tour de poser des questions. Quel âge avez-vous ?
Alice : Sept ans et six mois.
Boumbada Boum : Sept ans et six moix ? Quel âge bizarre ! Sept ans et six mois… Comme ça sonne mal ! Si vous voulez mon avis, vous auriez dû en rester à sept ans. Mais il est trop tard, maintenant.
Alice : Personne ne peut s’arrêter de vieillir.
Boumbada Boum : Une personne, peut-être, mais à deux personnes, aucun problème. Avec l’aide de quelqu’un, vous auriez sûrement pu en rester à sept ans, si vous voyez ce que je veux dire… Ha ha ha !
En éclatant de rire, il oscille, est sur le point de tomber. Alice le rattrape de justesse.
Alice : Écoutez, monsieur Boum, je crois qu’il vaut mieux que je m’en aille…
Boumbada Boum : Qu’est-ce que vous pensez de ma cravate ?
Alice : Quelle cravate ?
Boumbada Boum (il désigne la “cravate” qui l’entoure à mi-corps.) : Cette cravate !
Alice : Oh ? Je croyais que c’était votre ceinture !
Boumbada Boum (vexé) : Où est-ce qu’on vous a élevée ? C’est tout de même invraisemblable ! Confondre une cravate avec une ceinture !
Alice : Je suis désolée… C’est une très jolie cravate.
Boumbada Boum (flatté) : Vous trouvez ? C’est un cadeau de la Reine et du Roi Blancs. Ils me l’ont offerte pour mon non-anniversaire.
Alice : Je vous demande pardon ?
Boumbada Boum : Pourquoi, “pardon” ? Je ne suis pas offensé.
Alice : Je veux dire… qu’est-ce que c’est qu’un cadeau de non-anniversaire ?
Boumbada Boum : Un cadeau qu’on vous fait quand ce n’est pas votre anniversaire, évidemment.
Alice : Mais moi j’aime bien les cadeaux d’anniversaire.
Boumbada Boum : Vous ne savez pas de quoi vous parlez ! Réfléchissez un peu : combien de jours y a-t-il dans une année ?
Alice : Trois cent soixante-cinq.
Boumbada Boum : Bien. Combien d’anniversaires avez-vous dans une année ?
Alice : Un.
Boumbada Boum : Très bien. Si vous enlevez un de trois cent soixante-cinq, qu’est-ce qu’il reste ?
Alice : Euh… Trois cent soixante-quatre.
Boumbada Boum : Voilà qui vous démontre qu’il n’y a un seul jour où vous pouvez recevoir un cadeau d’anniversaire alors qu’il y a trois cent soixante-quatre jours pour un cadeau de non-anniversaire ! C’est beaucoup mieux, non ?
Alice : Ça y est. J’ai compris.
Boumbada Boum : Compris quoi ?
Alice : Vous inventez des mots, et ensuite, sous ces mots, vous inventez des choses qui n’existent pas !
Boumbada Boum : Bien sûr que si, elles existent, du moment que le mot existe ! Les choses ne seraient rien sans les mots !
Alice : Donc si je dis que vous êtes un œuf, c’est que vous êtes un œuf !
Boumbada Boum : Je vous ai déjà interdit de me traiter d’œuf !
Alice : Comme vous voulez. Je dis que vous n’êtes pas un œuf — donc vous n’existez pas — donc ça ne sert à rien que je perde mon temps à rattraper quelque chose qui ne tombe pas, puisqu’elle n’existe pas. Au revoir, monsieur Boumbada Boum.
Elle sort.
Boumbada Boum : Attendez ! Qu’est-ce que vous faites ? (Il se met à osciller de plus en plus fortement.) Ne partez pas ! Revenez ! Je vous en prie ! Ne me laissez pas tomber ! Ne me laissez pas…
Il tombe de son socle, rebondit sur le comptoir et disparaît dans un énorme fracas.

La Chenille

Installée au sommet d’un gros champignon, une chenille fume un gros narghilé. Elle remarque Alice et lui demande d’une voix endormie :
Chenille : Qui es-tu ?
Alice : Je ne sais plus trop… Quand je me suis levée ce matin, je savais qui j’étais … mais depuis, j’ai changé tellement de fois…
Chenille : Que veux-tu dire par là ? Explique-toi.
Alice : Je ne peux pas expliquer qui je suis, vu que je ne suis plus moi-même.
Chenille : Je ne comprends pas.
Alice : Je n’y comprends rien moi-même : changer de taille si souvent dans la même journée, c’est très perturbant.
Chenille : Ah bon ? Pourquoi ça ?
Alice : Vous n’en avez pas encore fait l’expérience. Mais ça va vous arriver : quand il faudra vous transformer en chrysalide et ensuite en papillon, je vous garantis que vous allez trouver ça bizarre.
Chenille : Qu’est-ce que tu en sais ?
Alice : En tout cas, si ça m'arrivait à moi, c’est sûr que je trouverais ça bizarre.
Chenille : De quel droit te mets-tu à ma place ? Et d’abord, qui es-tu ?
Alice : Je ne sais plus trop… Quand je me suis levée ce matin, je savais qui j’étais … mais depuis, j’ai changé tellement de fois…
Chenille : Que veux-tu dire par là ? Explique-toi.
Alice : Je ne peux pas expliquer qui je suis, vu que je ne suis plus moi-même.
Chenille : Je ne comprends pas.
Alice : Je n’y comprends rien moi-même : changer de taille si souvent dans la même journée, c’est très perturbant.
Chenille : Ah bon ? Pourquoi ça ?
Alice : Vous n’en avez pas encore fait l’expérience. Mais ça va vous arriver : quand il faudra vous transformer en chrysalide et ensuite en papillon, je vous garantis que vous allez trouver ça bizarre.
Chenille : Qu’est-ce que tu en sais ?
Alice : En tout cas, si ça m'arrivait à moi, c’est sûr que je trouverais ça bizarre.
Chenille : De quel droit te mets-tu à ma place ? Et d’abord, qui es-tu ?
Alice : Je ne sais plus trop… Quand je me suis levée ce matin, je savais qui j’étais … mais depuis, j’ai changé tellement de fois…
Chenille : Que veux-tu dire par là ? Explique-toi.
Alice : Vous n’avez pas comme une impression de déjà vu ?…
Chenille : Qu’est-ce que ça veut dire, déjà vu ?
Alice : Vous ne croyez pas qu’on s’est déjà dit tout ça ?
Chenille : Oui, peut-être. Et alors ?
Alice : C’est un peu répétitif, vous ne trouvez pas ?
Chenille : Tout se répète et tout se ressemble, ma chère. La bouffée que je tire de mon narghilé maintenant (elle joint le geste à la parole) ressemble comme deux gouttes d’eau à la bouffée que je tire de mon narghilé… maintenant. Dans quelques heures, le soir tombera comme il est tombé hier. Il y aura un matin demain comme il y a eu un matin aujourd’hui.
Alice : Il y a quand même une différence entre aujourd’hui et demain.
Chenille : Laquelle ?
Alice : C’est que ce n’est pas le même jour.
Chenille : Qu’est-ce qui te le prouve ?
Alice : Il ne s’y passe pas les mêmes choses !
Chenille : Que fais-tu le matin ?
Alice : Je me lève, je m’habille et je prends mon petit déjeuner.
Chenille : Et ensuite ?
Alice : Je vais à l’école.
Chenille : Et à midi ?
Alice : Je déjeune.
Chenille : Et l’après-midi ?
Alice : Je retourne à l’école.
Chenille : Et le soir ?
Alice : Je rentre à la maison, je joue avec ma sœur ou avec mon chat, je fais mes devoirs et je mange.
Chenille : Et la nuit ?
Alice : Je dors.
Chenille : Et le lendemain matin ?
Alice : Je me lève, je m’habille et je prends mon petit déjeuner.
Chenille : Et ensuite ?
Alice : Je vais à l’école.
Chenille : Et à midi ?
Alice : Je déjeune.
Chenille : Et l’après-midi ?
Alice : Je retourne à l’école.
Chenille : Et le soir ?
Alice : Je rentre à la maison, je joue avec ma sœur ou avec mon chat, je fais mes devoirs et je mange.
Chenille : Et la nuit ?
Alice : Je dors.
Chenille : Et le lendemain matin ?
Alice : Je me lève, je m’habille et je prends mon petit déjeuner… Ha, mais ça suffit, maintenant ! Vous me faites tourner en boucle !
Chenille : Que veux-tu dire par là ? Explique-toi..
Alice : Vous n’avez pas comme une impression de déjà vu ?…
Chenille : Qu’est-ce que ça veut dire, déjà vu ?
Alice : Vous ne croyez pas qu’on s’est déjà dit tout ça ?
Chenille : Oui, peut-être. Et alors ?
Alice : C’est un peu répétitif, vous ne trouvez pas ?
Chenille : Tout se répète et tout se ressemble, ma chère. La bouffée…
Alice : Je sais, je sais… « La bouffée gnagnagni ressemble comme deux gouttes d’eau à la bouffée gnagnagna. Il y aura un matin gnagnagni comme il y a eu un matin gnagnagna. » J’arrête de jouer. Ça vous amuse peut-être, mais pas moi.
Chenille : Qui es-tu ?
Alice : Je ne sais plus trop… Quand je me suis levée ce matin… (Elle s’interrompt brusquement.) Vous remettez ça ?
Chenille : Qui es-tu ?
Alice : Ah, ça suffit ! Je m’en vais. Au revoir… Non, pas “au revoir” ! Adieu !!!
Chenille : Qui es-tu ?
Alice sort, tandis que la Chenille continue inlassablement à répéter « Qui es-tu ? ».

Cette chronique d’avril s’achève. Nous espérons que vous y aurez trouvé assez d’éléments pour percevoir quelles sont nos premières pistes de recherches. De nouvelles informations (avec, en particulier, quelques nouvelles photos) seront disponibles fin mai.

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