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CHRONIQUE D’UN SPECTACLE EN CONSTRUCTION
Numéro 2 - Juin 2008


Cette deuxième chronique fait suite à un labo de recherche réalisé en fin mai et comporte donc quelques éléments nouveaux par rapport à la précédente, puisque ce labo nous a permis de préciser certaines pistes dramaturgiques et qu’il a été l’occasion de prendre quelques nouvelles photos.
Vous trouverez donc, ci-après, un court texte de présentation un peu moins “prospectif” que celui de notre précédente chronique : il fait apparaître ce qui sera très probablement la fable essentielle de notre spectacle, avec une évocation plus détaillée de certaines des créatures carrolliennes qui y figureront.
Vous trouverez également quelques photos commentées de marionnettes dans une réalisation plus avancée que lors de notre envoi précédent, et découvrirez par la même occasion la première maquette proposée par notre scénographe.
Enfin, nous avons cru utile d’ajouter une bibliographie sélective liée à l’œuvre de Lewis Carroll.

SOMMAIRE

1. Présentation
2. Visuels
3. Bibliographie

1. Présentation

 

« — Quelles sortes de gens vivent dans ces parages ? demanda Alice.
— Dans cette direction-là, indiqua le Chat d’un mouvement circulaire de sa patte, vit un Chapelier, et dans cette direction-là, fit-il de l’autre, demeure un Lièvre de Mars. Allez voir celui que vous voulez : ils sont fous tous les deux.
— Mais je ne veux pas aller chez les fous, fit observer Alice.
— Oh, vous n’y pouvez rien, dit le Chat. Nous sommes tous fous, ici. Je suis fou, vous êtes folle.
— Comment savez-vous que je suis folle ? fit Alice.
— Vous devez l’être, dit le Chat, sinon vous ne seriez pas venue ici.»
(Lewis Carroll,
Alice au Pays des Merveilles)

Par une nuit d’orage, une jeune femme prénommée Alice pénètre dans le hall d’un hôtel, l’Hôtel des Rêves. Elle y est accueillie par un réceptionniste qui s’enquiert du type de rêve — et donc de chambre — souhaité. Or Alice ne rêve plus depuis son tout jeune âge, et ne sait que lui répondre. Cela suffit à l’information du réceptionniste, qui lui confie la clé d’une chambre “avec vue sur l’enfance”. Ce sera pour la jeune femme le début d’une plongée parfois inquiète, souvent exaltée et joyeuse, dans le monde des rêves, et de retrouvailles avec sa propre enfance.
Et voici notre Alice redevenue petite fille, croisant sur sa route les créatures excentriques du Pays des Merveilles et de l’Autre côté du Miroir : un chapelier à moitié fou et un lièvre qui l’est tout à fait, de très bondissants jumeaux monozygotes, une sentencieuse chenille fumeuse de narghilé, un œuf géant en équilibre terriblement instable, un chat au sourire énigmatique, et d’autres encore, parmi lesquelles une fulminante Reine Rouge qui guidera les pas d’Alice dans ce monde aux allures de jeu d’échecs.
Parvenue à la huitième et dernière case, la petite fille deviendra reine à son tour, permettant enfin à une jeune femme nommée Alice de grandir réconciliée avec ses souvenirs et son enfance.

*

Tout aussi génialement inventive que soit l’œuvre de Lewis Carroll, nous n’avons pas hésité à prendre de grandes libertés avec elle, la débarrassant d’oripeaux victoriens quelque peu poussiéreux et de références devenues incompréhensibles pour tout lecteur — ou spectateur — d’aujourd’hui.
Néanmoins, nous avons pris soin de maintenir un caractère essentiel des aventures originales d’Alice qui est de pouvoir faire l’objet d’une double lecture, à la fois adulte et enfantine, et dans tous les cas réjouissante et pleine de surprises.

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2. Visuels (Photos : Michel Klein)


Voici une première maquette du décor réalisée par Gerdi Nehlig. Il est probable que la scénographie définitive s’en inspirera largement. La référence à l’art surréaliste (Hans Arp, entre autres) nous paraît très convaincante. Alice au Pays des Merveilles a été écrit il y a cent cinquante ans ; le surréalisme s’inscrit à mi-parcours entre cette date et notre époque et, sous l’impulsion d’Aragon, traducteur en 1929 de La Chasse au Snark de Carroll, fut le mouvement artistique mondial qui redécouvrit Alice avec le plus d’enthousiasme. L’univers surréaliste et celui de Lewis Carroll ont énormément de point communs — onirisme, nonsense, illogique et hyperlogique, écriture automatique, etc. — et seront donc réunis sur notre plateau pour ce que nous espérons être une fructueuse rencontre.

Les Reines rouge et blanche, dans un état de finition plus avancé que lors de notre précédente chronique. Elles ne sont pas tirées du Pays des Merveilles (où la seule reine est la Reine de Cœur du jeu de cartes), mais de L’Autre Côté du Miroir, deuxième volet des aventures d’Alice, qui met la fillette en scène dans un univers aux allures d’échiquier ; elle y parcourt un chemin qui la mène de la deuxième case à la huitième, où de simple pion blanc elle devient Reine. En ce sens, L’autre Côté du Miroir revêt un caractère plus initiatique qu’Alice au Pays des Merveilles.


Boumbada Boum (l’œuf géant nommé Humpty Dumpty dans l’œuvre originale) est une marionnette très particulière : elle n’a pas de corps — et pour cause ! —, et ce sont les bras et les mains du manipulateur qui participent directement à sa gestuelle et à son expressivité : Tout comme les Reines, Humpty Dumpty apparaît dans L’autre Côté du Miroir. Les personnages du Miroir seront nombreux dans notre adaptation, puisque figureront également le Bouc, le Lion et la Licorne, et les jumeaux Tweedledum et Tweedledie.

Voici les marionnettes de tous ces personnages enfin entièrement réalisées et qui n’attendent plus que leurs costumes respectifs : pour le Bouc, une pélerine de grand voyageur de chemins de fer (c’est dans le train qu’Alice fait sa connaissance) ; pour la Licorne et le Lion, de rutilantes culottes de boxeurs (un combat aussi échevelé que fantaisiste les mettra aux prises malgré tous les efforts d’Alice pour les séparer…).


Tweedledum et Tweedledie, rebaptisés Zygoti et Zygoto, les jumeaux monozygotes. Voici un exemple typique des libertés que nous n’hésiterons pas à prendre avec l’œuvre originale : dans De l’Autre Côté du Miroir, les personnages de Tweedledum et Tweedledie sont directement issus d’une comptine (nursery rhyme) très célèbre du temps de Carroll ; une bonne partie du chapitre dont ils sont les héros est basée sur les paroles de cette comptine,

ce qui devait grandement réjouir les petits victoriens qui voyaient des personnages bien connus d’eux sortir de leur cadre habituel. Mais aujourd’hui, alors qu’aucune référence à cette nursery rhyme n’est plus opérante, en particulier pour un public francophone, nous n’en avons gardé que les jumeaux eux-mêmes, pour lesquels Michel Klein a inventé un type de marionnette inédit, la marionnette à ressort, idée que nous trouvons très carrollienne !

Tiré d’Alice au Pays des Merveilles, nous ne passerons bien entendu pas à côté de ce qui en est sans doute l’épisode le plus célèbre, Le Thé chez les Fous. Voici réunis en un très sage (et donc très trompeur) portrait de famille : le Lièvre de Mars, qui dans notre fable tiendra également le rôle du Lapin blanc ; le Chapelier fou, auquel ne manque plus qu’un impeccable complet londo-nien — à moins que nous ne décidions pour lui d’un habit autrement fantaisiste ; le Loir qui pour le moment, malgré une bouille fort sympathique, n’est qu’une doublure ayant beaucoup plus à voir avec un chat qu’avec un loir ; et enfin Alice elle-même, qui attend avec impatience les nombreux essais de costumes, chaussures, coiffures… auxquels nous ne manquerons pas de la soumettre.


Attardons-nous un instant sur le Lapin. À Flash, nous savons reconnaître les marionnettes qui ont le potentiel pour traiter d’égal à égal avec les humains. Nous l’avons tout de suite repéré chez cet olibrius à longues oreilles.
Voilà de nombreuses années que nous défendons la technique de la manipulation à vue, rendue plus troublante encore lorsqu’il s’agit d’une confrontation directe entre la marionnette et l’humain. Ce Lapin, nous n’en doutons pas, sera un comparse idéal pour notre Alice : il nous reste à écrire une scène à l’attention de ces deux partenaires de talent !


Pour finir avec les personnages du Pays des Merveilles, voici la Chenille, encore en cours de fabrication et à laquelle il manque de nombreuses finitions. Un autre personnage essentiel reste à construire : il s’agit du célèbre Chat du Cheshire, dont vous découvrirez les images dans notre prochaine chronique.

Le spectacle est en cours d’écriture, et de celle-ci dépend l’apparition d’autres personnages, pour le moment en sursis : les Rois d’échecs rouge et blanc, le Cavalier blanc, la Duchesse, et le fameux Jabberwocky. Vous ne serez fixés sur leur sort qu’à la rentrée, à l’occasion de notre chronique n° 3…


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3. Bibliographie

a) éditions anglaises

  • Alice in Wonderland and Through the Looking Glass, Ed. Wordsworth Classic : il s’agit d’une édition de poche à petit prix, facilement trouvable dans toute librairie anglophone ou sur internet, et qui contient l’intégralité des dessins originaux de John Tenniel.

  • The annotated Alice – The definitive edition – Martin Gardner, Ed. Penguin Books : LA bible “alicienne”, puisque cette édition, fruit de décennies de compilation de notes de divers lecteurs sous la houlette de Martin Gardner, comporte des notices expliquant (presque) tous les mystères des deux livres d’Alice et l’intégralité des dessins originaux de John Tenniel. Trouvable sur internet. Bien vérifier qu’il s’agit de la "définitive edition".

b) éditions françaises

  • Alice au pays des merveilles et De l’autre côté du miroir (2 tomes séparés), traduction Jacques Papy, Ed. Folio Junior : c’est l’édition qui nous paraît à conseiller aux jeunes. La traduction est bonne, elle comporte quelques notes explicatives, le Pays des merveilles comporte d’intéressantes annexes, et toutes les illustrations originales y figurent. De plus, c’est sur cette édition que s’appuie le fascicule pédagogique de Laurence Escudé, Parcours de lecture, aux Ed. Bertrand-Lacoste (principalement à destination des enseignants des 4èmes et 3èmes). Les deux Alice dans la même traduction sont réunies dans un seul tome chez Folio Classique avec une préface de Jean Gattégno, grand spécialiste français de Lewis Carroll.

  • Les aventures d’Alice au pays des merveilles et Alice à travers le miroir (2 tomes séparés), traduction Elen Riot, Ed Librio : l’édition la moins chère (2 euros le tome), avec une traduction assez réussie. Seules quelques illustrations de Tenniel y figurent.

  • Tout Alice, traduction d’Henri Parisot et préface de Jean-Jacques Mayoux, Ed. GF-Garnier-Flammarion. Il s’agit là de la traduction la plus célèbre des livres d’Alice, celle qui a fait découvrir l’œuvre des décennies durant à des milliers de lecteurs jeunes ou moins jeunes. Elle nous semble toutefois quelque peu datée. Certes, le style de Carroll n’est pas relâché, mais il n’a pas le tour guindé, pour ne pas dire ampoulé, que prend souvent cette traduction. Mais cette édition reste essentielle, puisqu’elle comporte Les aventures d’Alice sous terre, le “urtext” d’Alice au pays des merveilles,  ainsi que d’autres documents importants comme Alice à la scène, ou La chasse au Snark.

  • Les aventures d’Alice au pays des merveilles, traduction Jean-Pierre Berman, Ed.Pocket, “Langues pour tous”, est une édition bilingue de poche avec une bonne traduction, de précieuses notes explicatives sur les tournures originales, et l’intégralité des illustrations de Tenniel.

  • Les aventures d’Alice au pays du merveilleux ailleurs, traduction de Guy Leclerq, illustrations de Jong Romano, Ed. Au Bord des Continents : c’est la traduction la plus récente (septembre 2000) ; elle est très réussie (en dépit du maniérisme que pourrait laisser redouter la traduction du titre) surtout en ce qui concerne la transcription des nursery rhymes et des poésies. Les illustrations de Romano sont tout aussi réussies et plutôt originales.

c) autour d’Alice et de Lewis Carroll

  • Lewis Carroll au pays des merveilles, par Stephanie Lovett Stoffel, Ed. Découvertes Gallimard : une mine d’informations, comme souvent dans cette collection, sur Lewis Carroll, sur les livres d’Alice, et d’intéressantes illustrations d’époque, parmi lesquelles les rares photos de nus enfantins de Carroll non détruits.

  • Lewis Carroll – Une vie par Jean Gattegno, Ed. Seuil, “Points” : la biographie la plus complète en français.

  • Lewis Carroll par Henri Parisot, Ed. Seghers, “Poètes d’aujourd’hui” : une courte introduction à l’univers de Carroll, avec quelques photos signés de celui-ci.

  • L’univers de Lewis Carroll par Lean Gattegno, Ed. José Corti : beaucoup plus exhaustif que le précédent, un essai essentiel pour une meilleure compréhension des œuvres de Carroll.

  • Lewis Carroll dans l’imaginaire français : la nouvelle Alice par Marie-Hélène Inglin Routisseau, Ed. L’Harmattan : une intéressante étude sur l’importance prise par l’œuvre de Carroll, et Alice en particulier, en France où elle fait son entrée à partir de 1930 : introduite par Louis Aragon dans la sphère surréaliste, elle hante l’imaginaire français du 20e siècle en incarnant la liberté et la fantaisie créatrice. Jean Cocteau, Paul Eluard, André Breton, Raymond Queneau, Jacques Prévert, Claude Roy, Marguerite Duras…, tous en appellent à Alice pour pratiquer un art poétique et littéraire débarrassé des entraves de la conscience…

d) filmographie, internet

Nous n’avons pas trouvé d’adaptation filmée bouleversante : Alice au Pays des Merveilles de Walt Disney édulcore comme d’habitude les situations et les personnages, celui d’Alice en premier lieu, même si, comme d’habitude aussi, les trouvailles visuelles des studios Disney sont nombreuses et souvent très réussies. L’Alice relativement récent (1999) tourné par Nick Willing avec entre autres Whoppi Goldberg, Gene Wilder et Ben Kingsley est selon nous hideux et catastrophique. On peut trouver, découpé en 7 épisodes sur le site Dailymotion, l’Alice mythique de la Paramount de Norman McLeod (1933), avec entre autres WC Fields, Gary Cooper et James Stewart ( !). Le film nous a paru fade et ennuyeux, même s’il est possible que la mauvaise qualité de l’image ait contribué à cette impression. À noter, plus prometteur, un Alice de Tim Burton en préparation pour 2009… Dans l’immédiat, somme toute, la version la plus inventive nous semble être celle-ci :

  • Alice par Jan Svankmajer, existe en DVD Zone 2 : devenue célèbre bien au-delà du cercle des amateurs de films d’animation, il s’agit là d’une adaptation très originale et grinçante du Pays des merveilles. Mais à vrai dire, nous ne sommes pas sûrs qu’elle puisse être conseillée à de jeunes enfants. Vous pouvez en juger sur YouTube en cliquant ici.

Enfin, voici deux sites internet français consacrés à L. Carroll :


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