2084
Création : octobre 2010
Sous les apparences d’une fable futuriste, Philippe Dorin prononce un implacable et désopilant réquisitoire contre une dérive on ne peut plus actuelle : la standardisation des esprits.
Dans 2084, quand un humain veut s’isoler ne serait-ce que le temps d’un casse-croûte, il est aussitôt rattrapé par deux congénères (lesquels, soit dit en passant, lui ressemblent comme deux gouttes d’eau) qui lui font comprendre le caractère extravagant d’un tel souhait : ici, le Big Brother de George Orwell, c’est votre voisin. Dans 2084, les clones sont tirés au sort pour former une famille idéale — pavillon coquet à Saint-Germain-en-Laye, monospace Ford Galaxy, Coca pour les enfants et susucre pour le chien. Un robot qui a le mauvais goût de se particulariser sera envoyé illico au crash test par un de ses collègues. Une tentative de révolution menée par un mutant tournera court, très court — ça s’appelle une décapitation. Même les comédiens qui osent sortir de l’ombre pour danser un tango ou converser avec leurs marionnettes se verront licencier par celles-ci, devenues autonomes grâce à une puce électronique dernier cri, le Manipulor.
Et Mozart, qui traverse le spectacle comme sa musique traverse les siècles (un exemple de l’invention métaphorique, mais au mot à mot, de l’auteur), se verra dépouillé de ses habits et de son art. Il ne restera plus que deux robots — les plus humains de tous les personnages, comme par hasard — pour le consoler.
Philippe Dorin use du pessismisme comme le fit Jonathan Swift, pour mieux alerter et mieux révolter. Il le fait avec une arme incomparable, puisqu’offerte à tous : le rire. Et dans cette bataille du rire contre l’uniformisation, de l’exception contre la règle, nos marionnettes sont de puissantes alliées. Jamais peut-être Michel Klein, qui les a conçues et réalisées, n’était allé aussi loin dans la fantaisie et l’inventivité.
2084, un futur plein d’avenir : une date — c’est le cas de le dire — dans notre histoire.
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